~ L'importance d'être constant ~

La bibliothèque. Un endroit de calme, de sérénité et de paix. Certainement pas quand il était là. "Il', c'était le trouble-paix, l'homme-enfant qui passait le plus clair de son temps ici. Il lisait des livres toute la journée, sur tous les thèmes possibles et imaginables. La bibliothèque universitaire contenait environ cent cinquante huit mille ouvrages et il devait en avoir la bonne moitié. Il étudiait depuis neuf ans dans cette université et Bertine, la bibliothécaire, le connaissait par cœur. Malgré tout, ces temps-ci, elle se méfiait de sa venue. Pas qu'il ait changé, oh non. Mais un groupe de L1 le suivait toujours de près, faisant du bruit et embêtant le monde. Meiki ne les remarquait presque jamais mais eux ne cessaient de chercher à l'embêter. Bertine aurait bien remit l'ordre mais on ne l'autorisait pas à amener son fusil à pompe ici. Elle avait bien demandé une dérogation au Doyen mais il l'avait regardé comme si elle était folle et l'avait renvoyé derrière sa banque de prêt. Elle hoqueta quand il rentra dans le hall et passa devant la banque de pret, lui adressant un sourire invisible comme à son habitude. Aujourd'hui, il lisait The Importance of Being Earnest, d'Oscar Wilde. Les jeunes hommes ne tardèrent pas à entrer à leur tour et abordèrent le jeune blond d'un coup dans l'épaule violent. Meiki bascula contre le mur et coula le long de celui-ci, se laissant faire sans décrocher les yeux de son livre. Nanette, l'autre bibliothécaire, rejoint Bertine pour suivre l'action. Quand un des mecs apostropha l'adulte, il porta sur eux un regard vide, comme d'habitude. Puis se reconcentra sur sa pièce. Les autres se moquèrent un peu de lui, le raillant en tentant des preuves d'humour, puis partirent en ricanant. Meiki haussa les épaules et resta au sol, contre le mur à lire son livre. Un mouvement près de lui le fit cependant relever la tête. Une jeune fille rousse se précipitait vers lui, le revelant de force et le rasseyant. Elle l'épousseta puis lui accorda un regard furieux.

"Pourquoi tu te laisse faire par ces brutes?"

Meiki haussa les épaules. Eymi était la petite amie de son frère, elle veillait sur lui comme une grande sœur. En Master de biologie, elle fréquentait l'université depuis un certain temps et le sermonnait dès qu'elle pouvait. Le blond serra Ellie contre lui et nettoya ses oreilles un peu souillées. Il sortit son calepin de son sac et commença une discussion avec la jeune fille.

"Je me fiche d'eux."
"Que dirais ton père s'il te voyait te faire battre par des gamins?!"
"Il est mort non?"
"Bien sur que non!"
"Ah j'avais cru."

Après un soupir navré, Eymi se dirigea vers la section sciences pures, laissant le plus vieux reprendre sa lecture.

Un nouveau jour se levait. Et il fallait se lever avec lui. Malheureusement pour elle, Ilanith n'avait pas réellement le choix. Elle avait des cours importants aujourd'hui et ne devait pas se louper. Les examens approchent chaque jour.

Les cours passaient à une allure folle. La jeune fille aimait vraiment ce qu'elle avait choisi mais continuait, en parallèle, de montrer ses esquisses à certains artistes, qu'ils soient de rue, renommés, tout juste diplômés ou bien même, encore à la fac. C'était d'ailleurs les seules rares fois où elle parlait aux autres. D'ailleurs, les autres L1 venaient souvent la charrier à cause de ça. Elle était plus jeune et en plus, elle ne cherchait pas à attirer l'attention ou se faire des amis. Qui l'eut cru ?

Après le déjeuner, elle s'aventura dans la bibliothèque. Un endroit paisible, et elle en avait besoin. Un esquisse à terminer. Un homme avait aimé son style de dessin et lui avait demandé de faire un portrait de lui et sa femme à partir d'une certaine photo. Petit travail plaisant et payé, qui plus est. Alors pourquoi chercher plus compliqué alors qu'on peut tout faire à la fois.

Ilanith salua la bibliothécaire et alla tranquillement s'installer, à une table où personne n'allait et où il n'y avait personne aux alentours. Elle l'avait repérée dès le début et se l'était tout de suite accommodée. Mais à peine assise, un bruit, assez sourd se fit entendre. De nature curieuse, elle rangea ses affaires, par précaution, et se décida d'aller voir. Les mêmes "première année" étaient là. Etrangement, Ila ne se sentit pas rassurée de les savoir ici. Quelque chose clochait. Elle n'était donc pas la seule à qui ils venaient chercher des embrouilles ?

Elle observa l'homme qui se faisait persécuter. Il lui ressemblait physiquement. Les cheveux blonds, les yeux verts. Une fille était venue lui parler, elle ignorait de quoi puisque son oreille n'était pas assez tendue, mais elle partit peu de temps après. Intriguée, la demoiselle s'avança vers lui. S'il subissait le même "sort" qu'elle, alors elle s'inquiétait.

"Excuse moi, est-ce que tout va bien ?"

Sa voix tremblait légèrement et on voyait bien une petite mine triste sur son visage, pourtant de marbre. Son carton à dessin sous un bras, elle le détaillait, comme si elle essayait de prédire ce qu'il répondrait.

Eymi était donc partie à ses rayons de sciences alors que le jeune homme commencait le sixième acte de son livre. Passionnant. Une autre fille vint le déranger dans sa contemplation des enluminures de début d'acte. Relevant ses yeux verts vers la jeune fille, il constata qu'elle s'adressait apparemment à lui. Mais pourquoi? Il ne la connaissait pas enfin. En tout cas il lui semblait. Penchant la tête sur le coté il fit comme une analyse de sa mémoire pour la retrouver. Aucune trace. Aucune. Mais sinon à part ça elle avait l'air sympa la fille. Il fouilla alors à nouveau dans son sac, ne lâchant pas la patte d'Ellie qui semblait comme une extension de son corps. Un garde du corps génial soit dit en passant! Une fois le calepin vert et bleu trouvé, il griffonna quelques mots avec son stylo bille, rattaché au bloc de feuille par une ficelle usée, vert cyber. Son écriture était serrée, pleine de boucles. Son frère lui disait souvent qu'il avait une écriture de fille mais Meiki ne s'en alarmait pas. Il était conscient, parfaitement conscient même, que son attitude n'était pas au summum de la virilité. S'il s'était soucié de ça, il aurait bien fait du sport, des choses d'homme. Mais l'exemple masculin principal de sa vie, son père, était tellement vicié et entaché que l'expression même d' "être un homme" le dégoutait au plus au plus haut point. Oui, son frère était un homme mais ce n'était pas pareil. Il avait la maladresse et la candeur d'un enfant encore. Et puis il restait son petit frère, malgré tout. Il tendit le calepin à la fille en tentant un sourire, mais comme d'habitude il avbait l'air parfaitement indifférent. Si elle prenait la peine de regarder ses yeux dans le détail, peut-être verrait-elle la lueur de sympathie dans son regard, peut-être. Sinon elle penserait qu'il s'en fichait. Un simple détail de toute façon. Sur le calepin, il avait décidé d'entamer la discussion de manière neutre, il ne voulait pas trop s'avancer. Peut-être qu'elle se fichait de lui et faisait ça par devoir de conscience.

"Oui je vais bien, ne t'en fais pas pour ça. Ils ne valideront pas leur année de toute façon. Mais toi, qui es-tu? On se connait? Je ne me souviens pas de toi, désolé."

Alors il allait bien. Ca rassurait un peu la blonde, elle connaissait ce qu'il vivait. Donc, pour une fois, elle avait décidé de se soucier des autres. Enfin, de tous ceux qu'elles pourraient croiser et qui subissait, entre guillemets, le même sort. Et elle se sentit encore mieux lors qu'elle lut qu'ils ne valideraient pas leur L1. C'était tellement vrai.

Ensuite, il lui demandait qui elle était. Deuxième point véridique, ils ne se connaissaient pas. C'était juste un soupçon d'humanité qui avait parcouru Ilanith et qui l'avait poussée à aller le voir. Il lui ressemblait physiquement et il semblait vivre un peu les mêmes choses, bien que la demoiselle répondait parfois de manière des plus cyniques quand elle le voulait. Lui, il écrivait. Soit il ne voulait pas parler, soit il ne le pouvait pas. Mais c'était pas grave, il avait au moins voulu lui répondre.

Elle s'installa face à lui, en posant son carton à dessin en appui contre sa chaise. Il l'intriguait, par son visage aussi neutre que le sien et ce regard tout aussi expressif. Oui, il lui ressemblait. Du coup, elle décida d'entrer dans son monde aussi et lui répondit en écrivant de son écriture calligraphique habituelle.

"C'est vrai, on ne se connaît pas, désolée. Mais ces types m'ont déjà fait subir la même chose que toi plusieurs fois. Je me suis sentie obligée de venir te voir."

On pourrait croire qu'elle avait pitié de lui, ou autre sentiment du même genre. Mais pas du tout. Au contraire. Bien qu'elle aime être solitaire, ne pas se sentir seule de temps en temps faisait du bien. Surtout lorsqu'on a personne sur qui compter. Oui, elle avait tué sa mère mais il y avait de bonnes raisons. Et elle n'était pas si méchante que ça. Après tout, c'était une Sentā. Elle reprit son crayon et se remit à écrire.

"Je m'appelle Ilanith. Et malheureusement ces types et moi sommes dans la même promo, même si ma mentalité est bien différente de la leur."

Apparemment elle comptait rester ici un moment. Elle venait de s'asseoir. Ce n'était pas pour déplaire à Meiki. Il aimait bien les gens, mais eux croyaient toujours qu'il était indifférent. Au début, il réglait les malentendus, puis, au fil du temps il s'était rendu compte que s'il devait convaincre le monde de sa sympathie, il aurait plus vite fait de construire le Taj Mahal en allumettes miniatures. Elle choisit de ne pas parler mais lui trouvait ça débile. Oui on était dans une bibliothèque mais elle pouvait au moins chuchoter! Ils ne se connaissaient pas donc. Sa mémoire ne lui faisait pas défaut pour une fois. Il lui sourit, elle subissait le bizutage de la bande de punks de L1 aussi. Lui s'en fichait, royalement. Un peu plus tard, elle lui reprit le calepin et réécrit. Elle s'appelait donc Ilanith. Elle avait un prénom étrange mais très joli. Ilanith. Et elle était dans leur promo. Avec un peu de chance elle n'était pas dans le même groupe de TD qu'eux, elle ne les avait donc qu'en CM. Et encore c'était déjà beaucoup. Reprenant le crayon, il griffonna sa réponse.

"Parles si tu veux parler. J'aime bien ta voix, elle est belle. Moi je n'ai pas d'autre choix. Quant à moi, je suis Meiki, en S2 de M1 d'Histoire. Ravi de te rencontrer, Ilanith!"

Il lui retendit le calepin, avec un autre sourire invisible. De loin, il voyait Nanette et Bertine sourire tendrement. Sans doute pensait elles qu'il s'était trouvé une copine. Lui, une copine? Absurde.

Ilanith prit le calepin qu'il lui tendit et lut à nouveau. Donc cet homme se nommait Meiki. Elle sourit en lisant son prénom, elle le trouvait joli. Il lui proposa aussi de parler à nouveau, parce qu'il aimait bien sa voix. Hum... La blonde était un peu sceptique. Certes elle pouvait chuchoter dans cette bibliothèque. Mais elle n'aimait pas vraiment ça et en plus, parler simplement n'était pas son fort. Elle préférait dessiner, faire le croquis de son monde idéal, avec de la musique dans les oreilles plutôt que de sortir faire tout et n'importe quoi. Utopique ? Certainement. Beaucoup trop peut-être.

Avant de lui répondre, elle l'observa quelques instants. Il lui faisait penser à elle, à ce qu'elle était devenue depuis qu'elle avait déménagé à Tenyaku. Ca lui faisait un peu bizarre. De se dire qu'elle n'était pas seule à s'être créée un monde dans lequel elle s'enferme et empêche les autres d'entrer. Et c'est peut-être pour ça, que ce Meiki réussirait à traverser la barrière, pourtant infranchissable.

Elle recommença à écrire sur le calepin, mais en lui expliquant le pourquoi du comment elle ne parlerait pas cette fois. Il ne méritait pas d'être laissé en plan et d'avoir une question sans réponse dans la tête. Oui, c'était étrange. Habituellement elle n'aurait pas fait ça. Mais les similarités qui se sont montrées à elle faisaient qu'elle s'était en quelques sortes attachée à lui. Bon, le mot n'est pas forcément le mieux mais c'est celui qui se rapproche le plus de ce que Ilanith ressentait.

"Enchantée aussi, Meiki. Mais je suis désolée, je ne préfère pas parler. Je me sens bien mieux dans le silence à seulement entendre le bruit de mon crayon... Si tu me trouves bizarre n'hésite pas à le dire, je comprendrai parfaitement !"

La jeune demoiselle riait un peu intérieurement, à cause de sa bêtise. Elle le connaissait tout juste qu'elle se mettait presque à sympathiser. Que la personne qui a pris son corps en sorte immédiatement.