Beautiful 5 [shit]ers [Fran Kaeru]

Beautiful 5 [shit]ers

featuring : Fran Kaeru, Chris Morzac

♫ the GazettE - a moth under the skin

Lundi matin. Chris se sentait bien comme un lundi. Il avait fait la fête la veille et s'était tellement gorgé d'alcool qu'il était sûr de nettoyer le tartre de la cuvette en allant aux toilettes. Le jeune homme repoussa les lourds draps en soie de son immense lit cinq places en chêne massif de la plus haute qualité, puis se traina dans son pyjama haute couture en flanelle jusqu'à sa salle de bain privée numéro un. Là, il alluma la lumière, qui lui agressa les yeux, mais il devait bien y voir quelque chose ! Alors il souffrirait ! ...

Une heure et demi plus tard, Chris sorti, quelque peu rafraichit. Toujours en pyjama, quelques barrettes retenant ses mèches les plus longues loin de son visage, il descendit lentement le grand escalier menant au rez-de-chaussée. A la cuisine, au carrelage froid sous ses pieds nus, il trouva son petit déjeuner sous cloche. Gilbert, son majordome, étala sa serviette sur ses genoux dès que Chris fut assis, puis découvrit l'assiette de pancakes. Après un soupir, il entama son repas. Aujourd'hui, il avait envie de sortir. De se montrer à la face du monde.

"Il y a quelque chose de prévu aujourd'hui ?"

Gilbert consulta son emploi du temps dans son petit carnet à la couverture de cuir, puis secoua la tête. Même pas un petit rendez vous avec un client suppliant. Quel ennui ce lundi !
Son petit déjeuner terminé, Chris remonta pour deux heures de préparation. Et avec tout ça, il réussit à être dehors à onze heures (du matin), pour apprécier les gaz d'échappement de la fin de matinée. Pendant qu'il se séchait les cheveux, il avait eu matière à penser, l'air chaud de l'appareil remuant et activant ses neurones. Ainsi donc, il avait eu une idée ! Le jeune homme irait chercher du pain !

"Merde, où est la boulangerie ?"

Cela faisait dix minutes qu'il tournait dans les rues, passant devant des boulangeries, oui. Mais pas celle qu'il voulait. Il voulait celle qui vendait des cochons en pâte d'amande. Non pas qu'il ait l'intention d'acheter un cochon en pâte d'amande, mais il aimait bien les regarder.
Finalement, il la retrouva. Et s'il ne l'avait pas repérée jusque là, c'était parce qu'un rideau de fer en masquait l'intérieur.

"Fermé le lundi ?! Oh shit alors ! ... "Dépôt de pain au bar ?" ..."

Après mûre réflexion (d'environ trois secondes), Chris fit volte face et courut jusqu'à l'établissement. Celui-ci, il savait parfaitement où il se trouvait. Bien sûr, ils ne vendaient pas de cochon en pâte d'amande. Mais il n'y avait que là bas qu'ils vendaient de sa bière préférée. Et aussi ses cigarettes importées illégalement. Cet endroit était un peu un repaire de mauvaises têtes. Ses mauvaises têtes bien souvent. Il connaissait quatre vingt dix pour cent de la clientèle régulière.
Le jeune homme pénétra l'atmosphère enfumée et alcoolisée du lieu sans se soucier de l'effet sur sa magnificence. Il était tellement parfait que toute imperfection glissait forcément sur lui sans dommage.

"Du pain." commanda-t-il au barman.

Il n'avait même pas posé son point final que plusieurs chaises raclèrent le sol collant et poussiéreux, puis quelques paires de jambes filèrent sans demander leur reste vers la sortie, emportant avec elles leurs courageux propriétaires. Chris jeta un coup d’œil au troupeau fuyant, identifiant quelques personnes qui lui devaient un paquet de fric. Les dix pour cent qui n'étaient pas de mèche avec sa Famille venaient de se faire la malle...
Il rabattit le pan de sa veste en cuir sur la crosse de son arme, pourtant fort jolie, toute recouverte d'argent. S'il restait un "client", il ne voulait pas l'effrayer. Ca pourrait lui donner l'occasion d'illuminer sa journée en récupérant la dette de l'un ou l'autre.
Le pain arriva, d'une main sûre. Le barman savait qu'il ne risquait rien tant qu'il continuait à accueillir tout le monde. Chris paya la somme due et se détourna pour balayer la salle du regard, un index pressé sur ses lèvres.
Il jeta son dévolu sur une vieille femme enveloppée dans un manteau au col de fourrure, violet. Elle avait un chapeau immense, décoré de tout un tas d'objets en plastique, ayant apparemment pour thème général le printemps. Chris fouilla dans sa mémoire. Gilbert n'était jamais là quand on avait besoin de lui. En tout cas, il se ferait la vieille... Au sens professionnel du terme bien sûr.

Le mafieux s'installa en face d'elle et croisa les bras avant de secouer sa chevelure soyeuse dans un ample et étudié mouvement de tête. La vieille le jaugea sans bouger de ses yeux pales, les mains crispées sur son sac à main. Devant elle, une tasse de café encore pleine et, à en juger par l'absence de fumée, au moins tiède. Voilà, il se souvenait d'elle maintenant. Un crédit pour enterrer son mari. Elle lui devait encore un beau paquet.

"Alors madame Gontran, on ne paye pas ses dettes ?"

Une minute plus tard...

"Espèce de malotru ! Oser demander ça à une pauvre veuve !"

Chris s'enfuit du bar avec sa baguette de pain, protégeant sa tête avec ses bras, essayant d'éviter les coups de sac à main. Qu'est ce qu'elle avait mis dedans, bon sang ? Des briques ? Ou pire...
Il trébucha sur le trottoir, poussé par la vielle morue, puis s'affala dans le caniveau. Pile sur un chewing-gum encore frais. La porte du bar se referma sur madame Gontran, le laissant stupéfait affalé au sol.
Il... Il venait de se faire rétamer par une vieille ?! ... ?!

C'était rare mais pour une fois, la nuit avait été longue pour Fran. Bien qu'il ait fait une crise de somnambulisme et qu'il s'était réveillé assis devant ce qui lui sert de frigo. Du coup, il ouvrit la fameuse chose et regarda à l'intérieur. Un litre de lait, du beurre, un plat de pommes de terre. C'était peut-être le moment de faire des courses. Mais pour un jeune homme de quinze ans, ce moment était, mentalement, un véritable calvaire.

En s'habillant, il pensa à ce qu'il avait fait la veille, à la jeune Lyvie. La carte qu'il lui avait donné était relié à lui. Il savait qu'elle l'avait gardée. Après tout, elle n'était qu'une illusion qui disparaîtrait, ou plutôt retournerait à son vrai possesseur, une fois son secret trouvé. Cette fille était bien plus troublée qu'elle ne le laisse paraître et c'est ce qui amusait notre chère tête de grenouille.

De toutes façons, il devait sortir pour s'acheter son petit déjeuner habituel. Il avait beau ne pas vivre dans la richesse et le bonheur, Fran avait des exigences pour certaines choses.

Une fois dans la métro qui le conduirait en ville, il repensa à nouveau à la veille ce qui lui valut un rictus sur ses fines lèvres. D'ailleurs, pour une fois, le maire en personne avait pris le soin de le complimenter après qu'il lui ait expliquer ce qu'il s'était produit. Il ne tenait pas vraiment à son patron, mais une promotion ne lui ferait pas de mal. Après tout, il travaillait pour lui-même et non pour les autres. Et puis, il s'était retrouvé seul uniquement à cause de (grâce à ?) sa propre personne. Quitte à assumer, autant s'en tirer mieux que les autres.

Le métro desservit enfin le huitième arrêt et l'adolescent descendit tranquillement. Il avait eu le temps de jouer avec d'autres êtres naïfs, des filles la plupart du temps parce qu'il les trouve plus influençables. Son réseau d'informations s'étendait petit à petit. On lui avait appris à manipuler pour ses intérêts à vrai dire. C'est bien l'une des seules leçons que le jeune homme suit depuis toutes ces années.

Il passa donc à sa boulangerie fétiche, où il était connu d'ailleurs. Fran avait fait exprès de la choisir selon ses gérants ; des Hanrans purs et durs. Comme ça, sa matinée pouvait bien commencer et il pouvait leur parler de ses plans ainsi de ce qu'il avait fait dans le métro, son terrain préféré de jeu. Le couple qui tenait la boutique pensait que le maire devait être fier d'avoir un tel homme sous ses ordres. Mais le jeune ne dit rien. Il s'en foutait de ce que son boss pouvait penser. En plus, il ne lui donne pas d'ordres, la grenouille fait tout d'elle-même. C'est mieux d'avoir ses propres initiatives.

Après avoir pris sa commande, qui se constituait de deux pains au chocolat (il tenait cette passion pour le chocolat de son maître...), d'un gâteau sablé à la pomme ainsi qu'un pain au lait. Petit déjeuner normal quoi. Plutôt que de le manger sur un banc, il décida d'aller s'installer sur la terrasse d'un bar, ou il pourrait demander un jus de pomme pour accompagner son festin. Mais lorsqu'il passa commande, il vit un homme, plus grand et sûrement plus vieux que lui, cheveux ébènes. Oui, il le vit tomber par terre juste devant le bar.

Ara ? C'est cette vieille là qui vient de le faire s'étaler devant le monde qui passait ? Ce mec doit être soit très idiot soit vraiment gentil pour se laisser faire...

C'est vrai qu'il est rare d'avoir un bon aperçu de quelqu'un qui arrive face à vous d'une telle manière. Mais un instant. Faible ? Idiot ? Une potentielle cible peut-être... Mais dieu qu'il allait devoir faire son gentil. Une idée qui lui donna la nausée. Il se pencha un peu vers lui et le regarda, avec son pain au lait dans la main.

« Besoin d'aide ? »

♫ D'espairsRay - squall

« Besoin d'aide ? »

Chris releva la tête, l’œil mauvais et un sourcil levé, l'autre plaqué sur sa paupière, presque à l'horizontal. Il eut un léger mouvement de recul, puis secoua la tête en maugréant avec mauvaise humeur :

"Tu trouve franchement que j'ai une tête à avoir besoin d'aide, sale gosse ?"

Le jour où Chris Morzac aurait besoin d'aide n'existerait jamais. Parce qu'il était Chris Morzac.
Le jeune homme se redressa sur ses bottines en cuir et remonta sur le trottoir pour examiner ses vêtements. Sa chemise de lin blanc n'avait rien, ni son blouson en cuir. De son holster, il extirpa son arme, un pistolet à gros calibre au canon un peu plus long que la normal. L'argent dont il était recouvert ne semblait pas avoir été affecté par la chute, il ne voyait que les dessins habituels gravés dans le métal blanc. Après cet examen rapide, il vérifia l'état de son pantalon noir, en tissu léger, sans prêter attention aux regards choqués fixés sur sa hanche (celle qu supportait sa bien aimée arme). Et là...

"NOM DE DIEU !"

Il y avait un chewing-gum - un chewng-gum ! - collé - collé ! - à son pantalon ! C'était la fin du monde. Ici et maintenant. Chris tenta de le retirer, mais s'il décolla le plus gros de la pâte (qui du reste lui resta entre les doigts), une bonne partie avait semblait-il décidé de s'installer définitivement sur sa jambe. Et puis, juste en dessous de la fesse gauche bien sûr. Impossible donc de s'asseoir sans aggraver les dégâts.
Avisant le garçon (qu'il jugeait bien plus jeune que lui) qui lui avait tendu la main quelques minutes plus tôt, Chris fit un pas vers lui et lui tendit sa main. Non pas pour le saluer, mais pour lui présenter le chewing-gum qui verdissait ses doigts.

"Tu voulais m'aider le gosse ? Enlève ça."

Chris hésita une petite seconde. S'il voulait se faire obéir sans discussion, il devait fournir une récompense. Tordant du nez, il balaya la rue de ses yeux foncés et les reporta avec un sourire presqu'enjoué sur le garçon.

"Après je t'achèterai une sucette."

Evidemment que non, l'autre n'allait pas faire de difficultés. En plus, il se goinfrait déjà de tout un tas de viennoiseries, il devait adorer le sucre.

Fran trouvait cet homme... Spécial. Bien que son égo en ait pris un sacré coup. Il valait mieux pour lui qu'il ne sache pas à qui il parle de cette façon ou il pourrait le tuer, ou le faire tuer pour ne pas se salir les mains, sur le champ. Mais la scène qui se déroulait sous ses yeux était digne d'un grand comique.

L'homme en question se regardait sous tous les angles, certainement pour voir s'il n'avait pas été touché par l'une des nombreuses poussières qui jonchaient le sol. Un maniaque ? La grenouille n'en riait, intérieurement évidemment puisque son visage ne montrait jamais l'ombre d'une émotion, que d'avantage. Il pourrait bien tirer profit de se caractère soucieux de sa personne. Mais il portait une arme. Fran se dit qu'il ne fallait pas trop se mesurer à cette chose. Tuer au pistolet n'était pas très original et c'est bien pour ça qu'il n'utilisait pas cette méthode.

Mais d'un coup, ce fut le drame. Le même homme que tout à l'heure hurla et le magicien ne comprit pas tout de suite le pourquoi du comment. Jusqu'à ce qu'on lui tende la main et qu'on lui ordonne d'enlever le chewing-gum qui y figurait, en échange d'une sucette. Comme s'il allait accepter... Quoi que. Il claqua des doigts, aimant surprendre les gens avec sa magie habituelle, afin de faire disparaître la chose qui collait sur ses mains. Uniquement à moitié.

« Si tu veux que la suite parte, y compris sur ton pantalon, c'est mes conditions qu'il va falloir suivre. »

Suite à ça, Fran se leva et, malgré le fait qu'il soit plus petit que lui, posa sa main sur sa belle chemise blanche, la tachant de noir. Ressemblant à du charbon et impossible à enlever à moins d'être déterminé et donc de passer deux heures avec les mains dans l'eau de javel.

« Dans le mot "suite" ça aussi, c'était compris... » dit-il en se rasseyant. « Mais je veux bien une sucette aussi. »

Il adressa à son aîné un de ses fameux sourire, que l'on sait faux. En attendant une quelconque réponse de la part de cet homme, il continuait de manger tranquillement, recevant son jus de pomme de la part d'une serveuse. La bague 666 au doigt, l'hexagramme autour du cou ainsi que la carte brumée à côté de lui. Il y avait de quoi se méfier pourtant, même si ce n'était qu'un adolescent.

♫ ANGELO - last song

Un claquement de doigts. Un bête claquement de doigts. Et plus de chewing-gum. Chris frotta ses doigts l'un contre l'autre. C'était encore un peu collant, mais il était débarrassé pour l'essentiel. Ce gamin était remarquablement efficace. Bien sûr, il aurait pu s'en débarrasser tout seul. Mais il aurait du attendre de rentrer chez lui. Et surtout, il l'aurait fait lui même devant des tas de gens, ce qui démentait sa toute puissance.

Chris n'en était même pas à se dire qu'il allait devoir acheter une sucette que le garçon prit la parole, sur un ton étrange. Presque menaçant. Et en même temps, un brin moqueur. Une main se précipita sur sa chemise et, lorsqu'elle recula, le tissu blanc était en partie recouvert d'une trace noire. Pas discrète pour un sou. Ainsi donc, voilà la menace.
Chris reluqua un instant la souillure de ses vêtements, la bouche tordue de contrariété. Et puis, il releva les yeux sur son petit maître chanteur, visiblement très habile de ses mains. Le coin de ses lèvres frémit, juste avant qu'il n'éclate de rire. Un rire glacial, dénué de toute fantaisie. De toute joie. Le rire de quelqu'un qui ne s'amusait jamais avec les autres, seulement à leurs dépends.

"Tu me plais bien, gamin," balança-t-il en réajustant le col de sa chemise d'une main rapide.

Il croyait vraiment qu'il allait obtenir quelque chose de lui avec ce genre d'actes ? C'était bien mal le juger. Chris était tellement égocentrique et sûr de lui que ce genre de choses ne pouvait pas l'atteindre véritablement. Certes, cela l'ennuyait d'être sale. Certes, cela nuisait à son image de toute puissance, etc... Mais franchement... Même trainé nu dans la boue, il resterait lui. Même amputé de ses quatre membres, il resterait lui. Et fier d'être lui.
Chris aperçut un mouvement sur sa gauche, légèrement en arrière. Il pivota la tête de quelques millimètres sur le côté, juste de quoi jeté un œil à la silhouette massive qui sortait de l'ambiance enfumée du bar, entrainant une odeur d'alcool avec lui.
L'homme devait mesurer plus de deux mètres de haut et avait une carrure des plus massives. On n'imaginait pas le faire rouler tellement il était cubique. Pourtant, il était plutôt bel homme.
Les traits du nouvel arrivant se mouvèrent soudain alors qu'il parlait, les vagues tatouées le long de sa mâchoire ondulant drôlement.

"Un problème boss ?" lança-t-il en faisant craquer ses phalanges.

Chris ne lui accorda jamais qu'un regard avant de reporter son attention sur le petit magicien. Il leva sa main aux ongles longs parfaitement manucurés et, un sourire aux lèvres, répondit :

"Ca ira Mouloud."

Il tira son flingue de son holster et le pointa en direction du garçon, avant d'avaler la maigre distance qui les séparait. Jusqu'à ce que le canon touche son front.

"Si tu crois m'intimider avec tes petits tours... Retente un coup de ce genre et je t'explose la cervelle. Moi même. Et je n'aurai pas peur de me salir avec tes entrailles."

Avait il enfin compris à qui il avait à faire ? Avait il pigé ce qui couvait sous la surface ? Ce n'était pas bien compliqué. Premier indice : le flingue plaqué sur sa tête. Deuxième indice : Mouloud. Troisième indice : la foule en train de courir dans tous les sens en hurlant.

Un mec baraqué qui semblait vouloir menacer la grenouille arriva. Alors ce type était son boss ? Peu importe, ce n'était pas quelqu'un de ce genre qui allait l'intimider. Dans sa courte vie, il en avait vu plus d'un comme ça. Mais l'arme du soit disant boss se retrouvait maintenant sur son propre front. Ca effrayait les gens des alentours. Il ne trouvait pas ça drôle ?

« Quel sincère manque d'originalité... Tu es sûr de vouloir t'en servir ? Si j'étais toi, je ferais attention. Avec une trop forte pression, cette chose pourrait t'exploser au visage. »

Fran était sûr de ce qu'il faisait. Les armes à feu dans ce genre ne lui faisaient rien. Dès qu'il l'avait vu, il avait bouché le canon par simple précaution. Apparemment il avait bien fait. Pensait-il réellement qu'il utilisait sa magie uniquement en contact avec le corps ou l'objet ? C'était mal le connaître. Après tout, il avait eu le meilleur maître en illusions qui puisse exister.

Sirotant calmement son jus de pomme, il ne prêta aucune attention à ce qui se déroulait autour. Que ce soit les quelconques réactions que ce mec pouvait avoir où les centaines de personnes qui étaient paniquées d'avoir vu, attention, une arme. Comme si c'était l'outil le plus dangereux du monde. Mais il se mit à réfléchir un instant.

Je ne suis pas certain qu'il s'accorde quelques minutes pour déchiffrer le mystère de ma carte... Et s'il y arrivait je pourrais me retrouver à la rue. Enfin si il y arrive et si il ose s'aventurer dans les bas quartiers. Voyons voir comment se déroulera la suite des évènements avant de tenter quelque chose qui pourrait m'être fatal.

Fixant celui qui l'avait menacé, il eut une idée. Il semblait aussi meurtrier que Fran. Et pour une fois, qu'il soit Heiwa ou non l'importait peu. Ce qu'il voulait, c'était des informations, pour à nouveau étendre son réseau, comme il le faisait si bien depuis la veille. Peut-être pour le tuer ensuite, s'il en savait trop. Bien qu'il en ait déjà vu beaucoup trop. La grenouille n'utilisait pas souvent son pouvoir ainsi, et encore moins en public. Il devait donc absolument mettre ce type dans sa poche, à n'importe quel prix. Peut-être il avait essayé de lui faire peur, avec l'arme, "Mouloud" alias le mec baraqué et en voyant la foule s'enfuir.

Quoique faire peur n'est sûrement pas le mot le plus approprié dans ce genre de situation... Montrer sa supériorité alors ? Possible.

L'adolescent bâcha la chaise d'en face avec un papier plastique assez solide. Comme ça, l'autre pouvait quand même s'asseoir. Enfin, s'il osait avoir une discussion avec lui. Fran désigna donc la chaise de la main qui portait sa bague.

« Installe toi donc je t'en prie. »

♫ 12012 - Icy ~ Cold City

De plus en plus intriguant. Le garçon ne semblait pas avoir peur de lui, bien au contraire. Ce qu'il dégageait, cette assurance, cette puissance... Alors même qu'il était du mauvais côté du flingue. Et puis, il n'hésita pas à l'insulter. Chris resta de marbre quelques secondes, le bras fixe. Il avait l'habitude, c'était évident, de manipuler une arme à feu, malgré son âge encore jeune.

"Manque d'originalité ? Tant que ça suffit à ôter les vies de mon chemin, je vois pas le problème. Et puis, manipuler cet engin est un véritable plaisir. Alors tu m'excuseras de... manquer d'originalité."

Chris n'avait pas bougé plus que nécessaire pour parler. Derrière lui, il sentait Mouloud s'agiter. Ca ne lui plaisait pas de voir le boss se faire traiter de la sorte par un petit merdeux. Mais Chris ne pouvait encore une fois être blessé, atteint. Après tout, il était auto-suffisant. Pourquoi aurait-il eu besoin de l'approbation ou des félicitations des autres ? Il n'était pas un petit chien à qui l'on refilait son susucre.
Et puis, l'autre recouvrit une chaise d'un feuillet de plastique, ce que surveilla le mafieux du coin de l’œil. Le garçon l'invita ensuite à s’asseoir. Une offre que Chris dénigra d'un sourire en coin et d'une parole claire et nette :

"Ca ira, merci. Je préfère rester debout."

Il allait entamer un semblant de conversation quand un cri retentit sur sa droite. Chris tourna la tête, pour voir un homme se jeter sur son bras tendu et lui arracher son arme de la main. Surpris par une telle audace, Chris n'eut pas le temps de réagir. D'habitude, les gens restaient dans leur coin. Apeurés.
L'homme tenait l'arme à bout de bras, visant maladroitement Chris. Ce dernier soupira, l'air plus embêté qu'autre chose.

"Fais gaffe mon gars, à trembler comme ça, le coup va partir tout seul."

En tout cas, Chris n'avait absolument pas peur de ce qui pourrait lui arriver. S'il y avait bien une arme qu'il connaissait, c'était la sienne. Il pourrait sans mal éviter une balle éventuelle.
Pourtant, quand l'homme baignant dans sa sueur froide pressa la détente, il n'eut pas besoin d'esquiver. Tout d'abord parce que Mouloud s'était jeté en travers de la trajectoire qu'aurait du avoir la balle. Avec son grand et large corps, le projectile aurait eut très peu de chances de le toucher à un point vital, surtout que Mouloud connaissait bien son affaire. Dans tous les cas, son corps aurait protégé Chris.
Il y avait cependant un autre facteur, bien plus inattendu, qui empêcha Chris de saigner. Le canon de son arme explosa à la gueule du pauvre passant, le tuant sur le coup. Ou peut-être pas sur le coup. En tout cas, ça avait fait une jolie bouillie.
Chris contourna Mouloud et rejoignit le cadavre. Son arme... Il la récupéra, la tenant à bout de doigts. Foutue. Il la rengaina néanmoins et se tourna vers le garçon. Il ignorait exactement comment ou pourquoi, mais l'identité du coupable ne faisait aucun doute.

"Bravo, dit-il en levant les sourcils. Tu as buté un pauvre mec."

Les flics n'allaient certainement pas tarder à rappliquer. Avec tout le raffut qu'ils avaient fait. Et si Chris s'ennuyait en ce lundi, il n'était pas d'humeur à se faire arrêter.

"A la revoyure," lança-t-il avant de s'en aller.

Il ne courut pas, tout comme Mouloud à ses côtés. Il se contentait de marcher à grands pas, comme s'il n'était pas plus inquiété que par un rendez-vous.

Tout s'enchaîna rapidement. Le déclin de l'offre que Fran avait fait à son interlocuteur pour s'installer en premier. Probablement à cause de la méfiance. Résultat, il ne voyait plus l'utilité de cette bâche et l'enleva sur le champ. La fit disparaître est plus approprié.

En deuxième, la bouche de l'homme qui commençait à s'ouvrir, pour dire quelque chose qui restera certainement inconnu, mais qui fut interrompue par un type malade. Un banal type qui s'était jeté sur le bras du "boss" pour lui prendre son arme.

Et dernièrement, ce fut bien le type banal et malade qui tira avec l'arme. La grenouille se demanda s'il avait dû le prévenir qu'utiliser ce truc conduirait au suicide.

Il soupira, longuement. Quelle idée de voler l'arme d'un mec louche qui traîne avec un autre qui fait de fois sa propre taille ? Tout ça pour quoi ? Se tuer. Même si personne ne pouvait le savoir à l'avance. Personne à part Fran. Qui leva enfin les yeux vers celui à qui il parlait depuis tout à l'heure, parce qu'il le félicitait de l'avoir "buté".

« Je t'avais prévenu que ça pourrait t'exploser au visage. Et puis directement je n'ai rien fait. Il n'y a aucune trace de moi sur le machin dont un pauvre fou s'est servi pour se tuer. »

Après ça, il vit l'homme, dont il ignorait toujours le nom, partir à grandes enjambées. C'est vrai que si les flics débarquaient il pouvait être mal. L'adolescent savait qu'il n'avait rien à craindre. Il rangea son petit déjeuner dans une pochette qu'il mit dans la poche intérieure de sa veste. Non, il ne comptait pas laisser partir une telle proie comme ça. Pas sans avoir des informations.

C'est ainsi donc qu'il attendit que l'homme soit assez éloigné du bar, pour être sûr qu'il ne fuirait pas, pour apparaître devant lui, soudainement. Comme par magie. Et c'était le cas de le dire. Une fumée, habituelle à lui, de couleur indigo l'entourait.

« Puis-je d'abord savoir à qui ai-je parlé durant tout ce temps. C'est impoli pour un homme d'une telle magnificence de partir sans se présenter. » dit-il ironiquement.

♫ abingdon boys school - gold eclipse

Pas responsable ? Chris souleva un sourcil à l'attention du gosse en entendant une telle énormité. Il ne pouvait tout de même pas le confondre avec un flic ou une balance ! Si ? Enfin, il se fichait pas mal des preuves. Il n'était pas idiot. Ses propres déductions lui suffisaient amplement bien sûr. Et il savait bien que c'était de la faute du gamin, même s'il ignorait les détails.
Il ne répondit rien cependant, ne voyant pas quoi dire face à une telle débilité. Chris se contenta donc de hausser les épaules et de tourner les talons, pour "fuir" tranquillement en compagnie de Mouloud.

Les deux hommes n'avaient pas eut le temps d'aller bien loin. Au premier virage, un truc nébuleux de couleur violette, mauve, où il ne savait quoi, apparut devant eux. Suivit d'un truc plus vert. Le gosse. Ce dernier ne se lassait apparemment pas de ses petites provocations.
Chris sourit en coin, tenté de réitérer ses dires précédents. Et comme le jeune homme ne voyait aucune raison de résister à ses tentations, il se lança.

"Tu me plais vraiment, sale gosse."

Ses doigts repliés contre sa lèvre inférieure, l'autre bras collé contre son torse, le poing fermé, Chris avança tranquillement vers l'autre. Il se mit à en faire lentement le tour, le jaugeant comme s'il était en train d'examiner une voiture de collection.

"Un peu maigrichon pour du travail de terrain... Mais tu as des capacités. Et une grande gueule."

Son œil droit brilla légèrement, comme à chaque fois qu'il était excité.

"Dis moi ton nom, et je verrais si je te donne le mien. Tu l'as dit, je suis d'une grande magnificence. Alors, je ne révèle pas mon identité au premier venu qui le demande. Ca non."

Chris s'arrêta face au gamin, les jambes écartées et les bras croisés. Il scrutait le visage de l'autre, sans peur. Pas d'arme ? Et après ? Il ne s'en sentait pas pour autant en danger.